La pédagogie assistée par l’animal (partie 2)

Description du projet

D’abord, l’enseignante titulaire avait déjà un fort intérêt pour l’intégration d’un chien en classe. À la suite d’une discussion sur différents projets que j’ai réalisés en milieu scolaire, elle m’a offert de concevoir un programme intégrant un animal et permettant de travailler la communication. C’est dire qu’un tel défi était une opportunité pour mettre en pratique ce en quoi je crois indéniablement : la richesse de la pédagogie facilitée par l’animal.

Oui, mais…

À ce moment, je devais connaitre le profil de chaque élève et planifier des interventions qui correspondraient aux objectifs pédagogiques travaillés initialement. Ensuite, il me faudrait instaurer une routine sécuritaire et rassurante pour les élèves, les intervenants et Heïdi. Le personnel en place devrait également connaitre mon cadre d’intervention pour assurer eux aussi la sécurité des échanges, et cela, en demeurant un bon modèle pour les apprenants.

Qui sont ces enfants?

Cette classe d’adaptation scolaire de premier cycle, nommée classe langage, était composée de neuf élèves, âgés de 7 à 9 ans, ayant un trouble du langage (dysphasie et trouble du spectre de l’autisme associé à une dyspraxie et/ou à un trouble déficitaire de l’attention).

Les enfants composant ces classes éprouvent une difficulté à exprimer leurs pensées oralement, à comprendre un message ainsi qu’à s’organiser dans l’espace et le temps (organisation spatio-temporelle). Ils ont des atteintes au niveau du schéma corporel, de la motricité globale, de la motricité fine ainsi qu’une grande vulnérabilité émotive secondaire reliée aux difficultés langagières.

Au plan comportemental, on peut observer un manque d’autonomie, d’attention, de maturité et d’adaptation. Étant donné leur atteinte au niveau réceptif (compréhension d’un message), ils peuvent avoir du mal à bien saisir nos attentes. Ces prédispositions ont pour effet d’entraver leur contact avec les autres enfants de leur âge et donc de réduire leur cercle d’amis.

En partant de leur profil, j’ai ciblé certains besoins afin de définir des objectifs d’intervention porteurs de sens tels que :
L’élève apprendra à contrôler son impulsivité
L’élève améliorera ses habiletés de communication
L’élève créera des liens avec les autres élèves de la classe
L’élève augmentera son estime personnelle

Les moments forts

Le projet s’est déroulé sur sept rencontres variant d’une heure à une demi-journée. C’est dire que nous avons vécu des moments forts. Les faits marquants survenus lors de ces rencontres sont nombreux.

D’abord, je fus énormément surprise dès la première rencontre. Lorsque je leur ai demandé s’il y avait des élèves dans la classe qui s’étaient déjà fait mordre par un chien, six élèves sur neuf ont levé la main. À tour de rôle, ils ont raconté que ces morsures bien qu’elles ne nécessitaient pas des soins médicaux particuliers, étaient survenues lors d’un jeu avec une balle, lors d’interactions avec un chien couché, lors d’un « colleux », de glissades hivernales chez des amis et autres. Cela me confirmait donc la pertinence que pouvait représenter mon projet. En fait, comment garantir la sécurité des échanges si ces enfants n’ont jamais appris à décoder les signaux d’un animal et de s’y ajuster? Comment les parents peuvent-ils l’enseigner à leur enfant si eux-mêmes ne l’ont jamais appris?

« Fait intéressant, un nombre de 450 cas de morsures de chien est dénombré chaque jour au Québec, selon un sondage Léger Marketing réalisé en 2010. »
Par la tenue de ces propos, mon rôle était évident. Nous devions d’abord nous pratiquer avec Cookie, mon chien en peluche pour que toute leur attention soit portée sur les émotions ressenties et les stratégies d’ajustement à employer selon la situation. Lorsqu’ils auraient reçu leur écusson de l’agent du respect des animaux, ils pourraient enfin accueillir Heïdi et mettre en pratique leur nouvelle compétence.

En premier lieu, nous avons travaillé les émotions avec plusieurs images à l’appui (reconnaitre et s’ajuster), avec un jeu de rôle afin de travailler les habiletés de communication. En plus, nous avons pratiqué les règles de sécurité avec Cookie la peluche (prise de contact et interaction) et l’analyse de situations variées reliées aux dynamiques relationnelles. Ensuite, ils devaient mettre en pratique leurs nouvelles connaissances de manière autonome permettant l’évaluation de l’acquisition des habiletés travaillées, ce qui conduirait à l’obtention de l’écusson. J’avoue avoir été impressionnée par l’engagement des enfants lors de mes rencontres. Interagir, poser des questions et venir à l’avant de la classe n’était plus un problème. Au contraire, il fallait plutôt les contenir à certains moments pour compléter les activités prévues.

Dès cette première étape franchie, nous avons remis les écussons à chacun de manière cérémoniale pour souligner leur investissement dans le projet. Je me rappelle encore leur visage souriant, reflétant la fierté de pouvoir enfin passer à l’étape de l’intégration d’un chien en classe, mais attention… un chien réel cette fois !

Le jour de son arrivée

Dans un silence presque déconcertant, les élèves aux yeux brillants qui essayaient tant bien que mal de se contenir sur leur chaise d’écoliers ont accueilli Heïdi comme un être méritant calme, respect et gentillesse. Je repensais à ce que je leur avais dit quelques jours auparavant. En fait, j’avais pris soin de leur mentionner que, lorsque nous arrivons dans un nouvel endroit, il y a plusieurs éléments inconnus à découvrir. Bien que ces découvertes soient stimulantes, elles peuvent également être déstabilisantes. Ceci veut dire qu’un chien a besoin d’explorer et de découvrir l’école dans le calme tout comme eux lors de leur première journée à la maternelle. Je voyais alors des petites mains s’abaisser graduellement pour se faire sentir poliment au passage de la nouvelle ambassadrice canine reniflant chacun d’eux avec sa petite bouille joyeuse. Nous pouvions observer simultanément l’intégration des stratégies travaillées préalablement. Ils devaient maintenant respecter les consignes de cohabitation élève-chien en tout temps. Il ne fait aucun doute que certains ont eu plus de difficulté à se contenir que d’autres. C’est tout de même des enfants dont il est question ! De ce fait, j’en ai profité pour travailler le contrôle des pulsions.

Il est indéniable que la présence d’un chien dans une école suscite la curiosité. Donc à la venue des autres enseignants ou intervenants curieux, il était incroyable de voir mon plus petit de classe parvenant à peine à se faire comprendre et ayant un tempérament plus intériorisé se lever pour indiquer aux nouveaux adultes en présence la façon de prendre contact avec un chien. Cet enfant était engagé dans la démarche au point de communiquer à d’autres figures d’autorité les règles d’interactions sécuritaires à respecter auprès de l’animal. Quelle richesse ! Cela a eu pour effet de convaincre les derniers sceptiques de la pertinence d’un tel programme.

Lors des activités subséquentes avec ma collaboratrice canine, j’ai vu des élèves oser demander de l’aide, travailler en équipe pour exécuter un défi avec le chien, donner des idées, s’organiser dans l’espace, faire une tâche dans un temps prédéterminé, être au travail de manière autonome, poser des questions, être plus attentifs et plus impliqués dans les activités. L’enseignante et moi avions déjà observé quelques-uns de ces comportements chez certains enfants, mais maintenant, ils se propageaient et s’amplifiaient considérablement.

Je me souviens d’un jeune garçon autiste qui tentait d’entrer en contact avec la chienne pour qu’elle l’accompagne dans son défi à relever (défi pour travailler les concepts spatiaux). Malgré ses tentatives de communication, Heidi le regardait, mais elle ne percevait aucun indice verbal ou gestuel de sa part lui permettant de comprendre qu’elle devait le suivre à travers différentes étapes; il s’agissait, en fait, d’une séquence de deux actions à poser. Dans ces circonstances, il faut garder à l’esprit leurs atteintes mémorielles, organisationnelles et communicationnelles. Cela engendre donc une forte charge cognitive pour l’enfant dans l’exécution d’une telle situation. C’est pourquoi la possibilité de demander l’aide d’un ami comme stratégie pouvait être utilisée à tout moment. Alors dans la difficulté, cet élève choisit un compagnon avec qui il avait très peu interagi depuis le début de l’année. Puis, il lui a demandé son aide : « Besoin d’aide… est-ce que… est-ce que tu peux m’aider? ». Le jeune garçon interpelé lui a aussitôt partagé ses idées en quelques mots et gestes de la main. C’est alors que l’enfant en quête d’une solution a invité Heïdi et a mis en application les conseils de son nouvel ami avec quelques gestes de la main pour mieux la diriger dans la direction souhaitée. Ma petite chienne l’a aussitôt accompagné pour réaliser avec succès la tâche demandée. Encore une fois, j’ai ressenti l’immense potentiel de l’intégration d’un animal auprès de ces élèves. Maintenant, ils apprenaient tous deux l’utilité de la coopération en contexte scolaire.

Tout au long des rencontres, Heïdi participait activement puis, dans les moments où elle n’était pas directement sollicitée, cette dernière se retirait dans son petit refuge pour se reposer, par exemple lors des explications, des récréations ou du travail autonome. Alors, elle en profitait pour somnoler quelque peu.

Aujourd’hui, lorsque je repense à ce projet, je suis des plus reconnaissantes; reconnaissante d’avoir pu contribuer un tant soit peu à enrichir l’apport relationnel entre l’humain et le chien à l’aide de ma partenaire de travail, mais surtout d’enrichir le coffre à outils personnel de ces petits cocos que j’adore. Vous savez ce coffre à outils qui nous sert tout au long de notre vie ?

Et ma Didine, elle…

Quel chemin, elle a parcouru ces dernières années ! Elle représente cette force combattive et endurante donnant l’impression que rien ne l’arrêtera et à la fois cette micro sensibilité empreinte de douceur nous obligeant à moduler tous nos contacts bienveillants pour nous y connecter réellement. Didine, quel travail d’équipe honorable tu me permets de vivre !

Cette chronique a fait l’objet d’une première publication dans la Revue Pattes Libres, Vol. 4, No. 2, Printemps-Été 2016. 
Lien de téléchargement: https://drive.google.com/file/d/0B1lUyxMvIaKwamJ0Ui1QdFNZakk/view

2017-09-04T19:13:02+00:00